UN PROTESTANT À LA TÊTE DE TROIS-RIVIÈRES !
Par Emmanuelle LeBlond, étudiante au baccalauréat en journalisme à l’UQÀM.
L’histoire n’est pas une science exacte : c’est ce que nous prouve l’historien Yannick Gendron en se lançant dans une quête unique en son genre, celle de trouver le véritable fondateur de la ville de Trois-Rivières.
4 juillet 2009. Trois-Rivières festoie. La musique fait revivre le centre-ville. Les mains dans les airs, les citoyens sortent dans les rues pour célébrer. Les coups de canon déchirent le ciel. Trois-Rivières se métamorphose pour commémorer 375 ans d’histoire. Spectacles, cérémonies, inaugurations: tous se mobilisent pour que l’événement soit souligné en grand.
Cette journée de célébration a une signification différente pour Yannick Gendron. Fébrile, il s’apprête à présenter au grand public le fruit de ses recherches. L’œuvre d’au moins trois années de sa vie. Au cours de son périple, M. Gendron a surmonté plusieurs obstacles. Depuis 2006, l’historien a cherché, ratissé et analysé tous les indices afin de trouver la clé de l’énigme. En cette soirée de projection de son documentaire « Sur les traces de Laviolette », co-scénarisé et réalisé par Pierre Saint-Yves, l’historien est convaincu qu’il a trouvé une pièce importante du puzzle. Son instinct a raison, puisqu’il marque ainsi le début d’une longue aventure.
Sortir des sentiers battus
Sur les bancs d’école, tous les étudiants apprennent le même refrain : Trois-Rivières a été fondé par Laviolette en 1634. Mandaté par Samuel de Champlain, il est venu en terre trifluvienne, accompagné d’une poignée d’hommes, afin de construire un fort. Cette version officielle a longtemps contenté la communauté historienne du Québec. Contrairement à ses comparses, M. Gendron n’est pas séduit. « On ne sait rien du sieur de Laviolette, même pas son prénom » renchéri l’historien.
L’unique document qui fait référence au fondateur de la ville est le Catalogue des Trépassés de l’Église Immaculée Conception de Trois-Rivières. Dans ce registre, le nom du célèbre personnage apparaît à trois reprises : dans l’introduction et dans deux actes de baptême. Par contre, l’auteur de ce volume n’est pas identifié.
Intrigué par la rareté d’informations, M. Gendron prend rapidement conscience du potentiel de l’enquête. Il se lance alors avec passion dans un projet de documentaire, épaulé par son réalisateur Pierre St-Yves. Son but : identifier le véritable fondateur de la ville.
Retourner à la source
«Les historiens sont paresseux. Ils retournent rarement aux archives pour réécrire l’histoire. Ils répètent ce que le précédent a dit et l’idée se perpétue», soutient M. Gendron. C’est justement pour cette raison que l’historien débute son enquête en fouillant dans les sources premières. Minutieusement, il épluche les documents des centres d’archives du Québec
Gendron constate que les Relations des Jésuites s’avèrent être une source très riche. Écrit par plusieurs mains, cet ensemble de correspondances était envoyé aux supérieurs généraux des jésuites à Rome. Ces chroniques de la Nouvelle-France recensent plusieurs aspects de la vie quotidienne tels que les mœurs et les coutumes des « sauvages », les actes de baptême, la rencontre avec les Amérindiens, etc.
L’historien dénote que les jésuites s’intéressent beaucoup à la région trifluvienne, car ils consacrent plusieurs passages à propos de ce site. « Trois-Rivières est un endroit naturel où les Amérindiens se regroupent pour faire des échanges », poursuit-il. Les religieux considèrent la présence amérindienne comme un potentiel évangélisateur, tandis que les commerçants de fourrure convoitent le territoire pour implanter un comptoir de commerce.
Les découvertes faites dans les Relations se révèlent assez surprenantes. M. Gendron remarque l’absence de Laviolette dans le récit fondateur. Par contre, un mystérieux personnage fait son apparition : Théodore Bochart Duplessis. Inconnu aux yeux des Trifluviens, ce général de la flotte de la Compagnie de la Nouvelle-France est pourtant célèbre au XVIIe siècle. Ce marin est reconnu pour ses talents de navigateur, mais surtout pour ses exploits en sol trifluvien. Dès l’année 1632, il établit un contact avec les peuples amérindiens de la Mauricie. Dans les années suivantes, c’est lui qui négocie avec les chefs, dirige la traite des fourrures et fait tirer du canon, avance l’historien.
Soudain, une lumière s’allume. Une nouvelle piste se trace. Théodore Bochart Duplessis est peut-être le réel fondateur de la ville. L’enquête prend une tout autre tangente. M. Gendron est plus déterminé que jamais.
Le « Général »
À ce stade de l’enquête, l’historien est conscient que les sources manuscrites s’épuisent. Il décide de poursuivre son aventure en France dans le but de trouver des réponses à ses questions. Son premier voyage en sol européen lui permet d’en apprendre davantage sur « l’immigration française canadienne ». Malheureusement, la recherche aux archives françaises est peu fructueuse à l’égard de Laviolette. En revanche, le nom de Bochart ressort encore une fois à plusieurs reprises. Une deuxième traversée s’impose, en 2017. Pour cette fois, l’attention n’est pas seulement axée sur Laviolette. M. Gendron désire « mettre la main sur la place de Bochart en Nouvelle-France en tentant de comprendre le contexte dans lequel il a vécu ».
De retour au Québec, l’historien est convaincu : Laviolette et Bochart ont réellement coexisté. Toutefois, les actions du « Général » ont eu un impact beaucoup plus important sur la fondation de Trois-Rivières. Effectivement, le marin détient toutes les aptitudes requises pour être le pionnier de la ville. Œuvrant dans la marine, cet homme d’expérience a bénéficié dans ses explorations de l’appui de Samuel de Champlain mais aussi du Cardinal de Richelieu. Par ses nombreux voyages commerciaux, il connait par cœur la région trifluvienne et le chemin de navigation périlleux pour s’y rendre. Selon l’historien, « Bochart est disposé à construire une habitation dans le but de consolider un lieu d’échange ».
Grâce aux rencontres avec les historiens locaux et les informations généalogiques recueillies, M. Gendron a la conviction que Bochart était un huguenot. Au XVIIe siècle, une forte tension était présente entre les communautés protestantes et catholiques. Prenant ses racines en France, le conflit s’est transplanté en Nouvelle-France. « Les jésuites voulaient s’assurer que la religion protestante ne rentre pas sur le continent, suggère M. Gendron. Les huguenots ne pouvaient pas s’installer en Nouvelle-France, mais ils pouvaient y travailler. » Au sein de l’enquête, cette donnée est fondamentale. L’historien est persuadé que l’allégeance religieuse de Bochart a eu pour effet de discréditer sa réputation. Les autorités religieuses de l’époque ont préféré donner l’honneur de la fondation à Laviolette, malgré « les actions fondatrices du Général », poursuit M. Gendron.
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Des idées plein la tête, l’historien décide de se consacrer entièrement à l’écriture d’un livre dans l’objectif de coucher sur papier le résultat de sa recherche. Dans cet écrit, qui sera publié au printemps 2018, il défend ardemment sa thèse concernant le véritable fondateur de la ville trifluvienne. Déterminé, il poursuit aussi le projet d’un second documentaire. Jour et nuit, Yannick Gendron continue encore ses recherches en date d’aujourd’hui. Le bonheur que lui procurent les résultats de son enquête reste son unique motivation.
Maintenant, il reste à voir si les historiens de la région adhèreront à cette théorie. L’historien s’attend à toute éventualité. Étant le premier à s’aventurer vers ce chemin périlleux, il sait que son travail sera vivement critiqué. M. Gendron est conscient de l’envergure de son enquête et des futures répercussions au sein de la communauté historique. Malgré ces craintes, il poursuit son travail la tête haute, prêt à affronter les prochains défis qui se présenteront à lui.
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