L’AMÉNAGEMENT DU PORT DE TROIS-RIVIÈRES AU XIXE SIÈCLE

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L’AMÉNAGEMENT DU PORT DE TROIS-RIVIÈRES AU XIXE SIÈCLE

L’AMÉNAGEMENT DU PORT DE TROIS-RIVIÈRES AU XIXE SIÈCLE

Par Adrien Le Toux, détenteur d’une maîtrise en études québécoises à l’UQTR

Sur les bords du Saint-Laurent, le port de Trois-Rivières jouit d’une position favorable à l’embouchure du Saint-Maurice. Les marées y sont de faibles amplitudes et la navigation y est plus commode qu’en amont où se trouvent les hauts fonds du lac Saint-Pierre[1]. Dans ces conditions, le site portuaire naturel était suffisant pour les besoins du commerce jusqu’au début du XIXe siècle. Les navires les plus gros pouvaient s’amarrer à proximité de la rive, pour y décharger leurs marchandises, tandis que les plus petits pouvaient directement s’échouer sur les berges[2].

Seulement, l’accroissement constant du tonnage des navires et le remplacement progressif de la voile par la vapeur, à partir du milieu du XIXe siècle, ont impliqué un développement constant des infrastructures et des équipements portuaires[3]. Loin d’être étrangers à ces changements, les gens d’affaires de Trois-Rivières ont commencé à aménager les grèves du port, à partir des premières décennies du XIXe siècle. Ces constructions étaient d’abord destinées au commerce général, puis au trafic de passagers, avant de coïncider avec l’essor de l’exploitation forestière[4].

Notons notamment qu’en 1825, Mathew Bell construisit un quai pour le commerce des Forges du Saint-Maurice. Il fut suivi en 1833 par Mooses Hart pour la production de sa brasserie. Plus tard, en 1840, John Molson acquit un quai pour sa compagnie de vapeurs. Racheté en 1875, par Thomas Farmer, il fut mis au service de la compagnie de navigation Union. La Compagnie du Richelieu disposait aussi du sien depuis 1864 (figure 1, secteur E) et la ville accueillait sur son quai, dit « de la Corporation » le service de la Traverse[5] et le marché aux poissons (figure 1, secteur D).

En conséquence, toutes ces infrastructures ont été réalisées sans planification, selon les besoins des compagnies et des entrepreneurs locaux. Cela donnait un alignement discontinu de quais de hauteurs et de longueurs variables. Vous pouvez le visualiser sur la figure 1 présentant un plan de 1879 du port de Trois-Rivières, sur lequel nous avons identifié les propriétés. Ils seraient suffisants pour les besoins du commerce si l’on en croit une brochure promotionnelle de 1880[6], mais la presse trifluvienne y voyait une absence de cohésion nuisant à l’activité portuaire[7].

Alors que le MTP réalisa rapidement les travaux qui lui étaient confiés, les Commissaires rencontrèrent des difficultés dans l’acquisition des terres et dans le financement de leurs projets. Ils durent ainsi demander l’aide du Gouvernement fédéral pour finir en 1886 leur premier quai, appelé quai des Commissaires[11]. Avec ses 580 pieds de longueur et ses 25 à 36 pieds, il permettait aux navires océaniques d’accoster et offrait un espace de stockage de 100 000 pieds de bois. Seulement, les Commissaires ne purent financièrement plus assurer pleinement l’aménagement du port jusqu’à la fin du siècle[12].C’est dans ce contexte qu’est créée en 1882 la Commission du havre de Trois-Rivières [CHTR], dont la mission était de pourvoir à l’administration et à l’aménagement du port, afin de répondre aux besoins croissants du commerce de la ville et de la région[8]. Dans cette optique, les ingénieurs du ministère des Travaux publics [MTP][9] préparèrent un plan d’aménagement portuaire dès 1881. Il accompagna la création de la Commission du havre qui devait réaliser les travaux d’intérêt locaux tandis que le MTP s’occuperait des travaux d’intérêts généraux. Il devait assurer le dragage des chenaux de l’embouchure du Saint-Maurice et l’enlèvement des battures devant la ville. Elles faisaient obstacle à la navigation et repoussaient vers la rive les glaces qui endommageaient régulièrement les quais. Quant aux commissaires, ils devaient d’abord construire à l’est un quai pour les besoins généraux du commerce, puis mettre à disposition les structures nécessaires au transit du bétail et établir à l’ouest des quais ainsi que des jetés dédiés aux exportations de bois[10].

À partir de 1888 et à la demande des Commissaires qui se plaignaient de l’insuffisance des espaces de quaiage à leur disposition, c’est le MTP qui entreprit l’allongement vers l’ouest du quai des Commissaires jusqu’au quai de la Compagnie du Richelieu. Bien que la première section de 172 pieds a été achevée en 1890, l’allongement du quai n’était toujours pas fini en 1898. Par ailleurs, afin de répondre aux besoins croissants du commerce du charbon les Commissaires acquirent, réparèrent et draguèrent le quai de Dean en 1890. La même année, la ville agrandit son quai et le Canadien Pacifique établit un hangar à foin sur celui des Commissaires en 1894.

Lors du changement de gouvernement, en 1896[13], les Commissaires rappelèrent le plan de développement de 1882 et demandèrent l’achèvement de la prolongation du quai des Commissaires et la construction des infrastructures dédiées au commerce du bétail. En 1898, le MTP autorisa des investissements majeurs qui permirent notamment aux Commissaires d’achever la prolongation du quai des Commissaires jusqu’à celui de la Compagnie du Richelieu. Ils disposèrent ainsi de 1 500 pieds continus de quais représentant une superficie de stockage de 300 000 pieds carrés avec des entrepôts d’une capacité de 3 000 tonnes, des outillages de manutention modernes et l’éclairage électrique permettant un travail de nuit comme de jour. Ces nouvelles infrastructures permirent selon les Commissaires d’accroitre le trafic du port et le gouvernement autorisa la prolongation du quai des Commissaires vers l’est, jusqu’au quai de la Saint-Maurice Lumber Company (figure 1, secteur I).

Au tournant du XXe siècle, les Commissaires ont ainsi réussi à compléter l’aménagement de l’est du port et ils établirent un nouveau et ambitieux plan de développement avec le MTP[14]. Ils affirmèrent ainsi que « C’est […] avec une assez grande mesure de légitime satisfaction que nous fermons la première phase de l’évolution de notre port »[15].

Notes

[1] Raoul Blanchard, le centre du Canada français : Province de Québec, Montréal, Beuchemin, 1947, p. 161

[2] René Hardy et Normand Séguin (dir.), Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, PUL, 2004, p. 276 ; Guy Trépanier, Arrondissement historique et vieux port de Trois-Rivières, Étude historique et potentiel archéologique, Trois-Rivières, Ville de Trois-Rivières, 1988, p. 219-224.

[3] Brunot Marnot, « Interconnexion et reclassement : l’insertion des ports français dans la chaine multimodale au XIXe siècle », Flux, 2005/1, n˚59, p. 11-13.

[4] Hardy et Séguin (dir.), op. cit., p. 276-279 ; Trépanier, op. cit., p. 224-246.

[5] Nous appelons la Traverse les services de navigation reliants Trois-Rivières à la Rive-Sud du Saint-Laurent. Bien que le principal lien ait été avec Saint-Angèle-de-Laval, dans l’actuel Bécancour, des liaisons ont aussi existé avec Nicolet, Port-Saint-François et Saint-Grégoire, par la rivière Godefroy.

[6] Nous faisons ici référence à The city of Three-rivers as a Sea-Port and her net-work of rail-roads, publié en 1880 par le Journal des Trois-Rivières et écrit par George Balcer. Notons qu’il était alors le secrétaire-trésorier de la Chambre de Commerce de Trois-Rivières et qu’il exerça cette même fonction à la Commission du havre, entre 1882 et 1911.

[7] Le Journal de Trois-Rivières, du 4 mai 1882, p. 2, col. 1-2.

[8] Nous n’entrerons pas en détail sur le processus de création de la Commission du Havre de Trois-Rivières et sur son fonctionnement administratif que j’ai analysé dans mon mémoire de maîtrise : Le port de Trois-Rivières sous l’administration de la première génération de commissaires (1882-1911), Mémoire de maîtrise en études québécoises, UQTR, 2015, 183 p.

[9] Il s’agit du ministère des Travaux publics du Canada. Les voies navigables sont de la compétence du gouvernement fédéral.

[10] Le développement du port de Trois-Rivières entre 1882 et 1900 est analysé dans mon mémoire de maîtrise, précédemment cité. Je vous invite à consulter les pages 50 à 63 pour plus d’informations.

[11] Le quai a été construit à la hauteur des secteurs G et H identifiés sur la figure 1.

[12] En contrepartie de l’aide obtenue auprès du gouvernement fédéral, les Commissaires virent leur capacité d’emprunt limité. Voir les pages 26 à 29 de mon mémoire.

[13] L’année 1896 marque un changement dans la politique canadienne avec le remplacement au pouvoir des conservateurs par les libéraux menés par Wilfrid Laurier.

[14] Archives du Séminaire Saint-Joseph, 0063-E3-74, Commission du havre, Memorandum presented to the ‘‘ Royal Commission on transportation, ’’ by the combined Committees of the City council, the Board of Trade and Harbour Commissioners, a tirs sitting at Three Rivers, June 1904, 1904, p. 6.

[15] Document de la Session du Canada 1901, vol. 9, n˚23, Rapport Annuel du Ministère de la Marine et des Pêcheries 1901, Rapport de la Commission du Havre de Trois-Rivières 1901, p. 37.

[16] Georges Baptist et George Benson Hall sont respectivement décédés en 1875 et 1876, mais leurs descendances poursuivent leurs activités sous la même raison sociale.

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